Temoignages

Pape Meïssa Hanne, Directeur de l’école Célestin Freinet de Dagana : « Mes élèves sont entreprenants et responsables »

Pape Meïssa Hanne, Directeur de l’école Célestin Freinet de Dagana, explique dans cet entretien ce qu’est la pédagogie Freinet, sa particularité et ses avantages. Une interview réalisée par l’une des équipes de Télévision du CESTI, en séjour rural à Dagana.

Qu’est ce que la pédagogie Freinet ?

La pédagogie Freinet est à la fois une philosophie et une technique. C’est une vision de la vie que Célestin Freinet a essayé de transmettre sous forme de pédagogie. Pendant qu’il était instituteur en France, après avoir été déporté lors de la Deuxième Guerre mondiale, il est revenu blessé au poumon. De ce fait, il ne pouvait plus faire la classe comme les autres enseignants et il a changé un peu sa manière de faire. Il parlait peu ; c’est pourquoi, il confiait la majeur partie du travail aux élèves.

Sa pédagogie était aussi basée sur une autorisation coopérative de la classe et de l’école. Les élèves ont des rôles, des responsabilités. Ils acquièrent la citoyenneté par la participation, la démocratie participative. Freinet a eu aussi à mettre sur pied des techniques qu’on appelle techniques pédagogiques, qu’il appelait lui-même « techniques de vie ». Il faut aussi dire que ces techniques sont très appliquées dans le monde. Il s’agit de la correspondance interscolaire, c’est-à-dire des enfants qui écrivent à d’autres enfants pour échanger des informations. A travers cet échange, on fait ce qu’on appelle l’éducation à la paix, l’ouverture. En effet, pour  transmettre une information, il faut que l’enfant maitrise la langue.

Qu’est ce qui vous a poussé à pratiquer la pédagogie Freinet ?

Etant élève à l’École normale, dans les pédagogies générales, on a eu à connaître un tout petit peu la pédagogie Freinet comme beaucoup de pédagogues. Mais cela n’a pas retenu mon attention. C’est  quand j’ai été affecté à Diawar, un village pas loin de Dagana, que j’ai eu l’opportunité de rencontrer un monsieur, professeur à l’université Paris 10, qui travaillait sur le mouvement  Freinet. Il travaillait à mi-temps à l’université et dans une école élémentaire. Il a mis en relation nos deux écoles. Au fur et à mesure qu’on échangeait, la correspondance dont je vous ai parlée tout à l’heure, on a mis sur pied deux associations : une association de parents d’élèves en France, plus précisément à Nantes, et une association de parents d’élèves au Sénégal. L’expérience a été bien suivie et réussie. Les écoles qui étaient autour de ce village sont venues nous rejoindre. Notre association est devenue en 1988 l’« Association sénégalaise d’Écoles modernes ».

Qu’est ce qui fait la particularité de cette méthode ?

Vous allez découvrir qu’on n’est pas coupé du programme officiel. On applique tout ce qui se fait au Sénégal parce que nos élèves sont tenus à être évalués comme les autres élèves de ce pays. Ils font l’entrée en sixième sur les mêmes épreuves, donc nous sommes tenus de ne pas nous éloigner du programme.

Nous ajoutons seulement une autre approche que sont les techniques de la pédagogie Freinet. C’est-à-dire « le quoi de neuf »« le conseil d’enfants » et beaucoup d’autres techniques qui favorisent la liberté d’expression de l’enfant. Nous avons également institué, comme l’enseigne la pédagogie Freinet, une coopérative d’école et une coopérative de classe. La coopérative d’école, en début d’année, organise une assemblée générale qui va élire les responsables qui vont diriger l’école en même temps que le directeur de l’école et en même temps que les enseignants de l’école. Donc toutes les décisions, on doit les discuter sauf si ce sont des thèmes qui dépassent la compréhension des enfants.

Quel taux de réussite avez-vous par année ?

Jusqu’ici, on a fait trois ou quatre fois le CM2 car l’école a démarré en 2004. Et on a toujours  eu 100%. C’est cela qui nous a même posé quelques problèmes avec une demande forte concernant les inscriptions. On fait tout pour limiter les effectifs, mais jusqu’ici on n’y arrive pas.

Est-ce qu’avec cette forte demande, vous arrivez à respecter la pédagogie Freinet ?

Les premières expériences de Freinet sont faites en France. Il a fait un mouvement international mais il y a des gens qui disaient qu’une pédagogie développée en France n’est pas forcément adaptée au Sénégal parce que les réalités différent. Nous nous sommes dit qu’on ne fera pas de la copie. Ce qui veut dire que nous avons pris la méthode Freinet et nous avons mené nos propres expériences en l’adaptant aux réalités sénégalaises. Ce qui nous a permis de nous dire que la pédagogie Freinet était conçue pour des classes de 25 élèves, nous nous retrouvons avec des classes de 50 à 60 élèves au Sénégal et partout en Afrique. Des Français nous avaient dit que nous avons pris cette pédagogie, mais cela n’allait pas servir à grand-chose. Mais nous l’avons fait à notre manière et aujourd’hui, nous avons de très bons élèves, malgré les effectifs pléthoriques. Toutefois, faire la pédagogie avec 30 élèves par classe est meilleur que de prendre 50 par classe parce qu’on a les meilleurs résultats.

Quel est le niveau de vos élèves après leur passage à l’école Célestin Freinet ?

Une fois sortis, les élèves de l’école Célestin Freinet ont une bonne réputation. Quand ils arrivaient à l’école, ils trouvaient des élèves qui attendaient qu’on leur demandât de faire ceci ou cela mais eux, ils ont l’habitude de s’organiser. Ici, ils ont plusieurs commissions qui gouvernent l’école : des commissions de surveillance, des commissions de la santé, etc. Dès qu’ils arrivent au collège également, ils ont envie de s’organiser et de faire des choses. S’il y a des mouvements de reboisement, c’est eux. S’il y a des organisations par rapport au nettoiement de l’école, c’est encore eux. Concernant tout ce qui s’organise en général au niveau de l’école, leurs professeurs nous disent que c’est grâce à eux qu’ils ont réussi énormément de choses. En effet, ils ont l’esprit d’initiative, le sens des responsabilités.

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